Conférence « Y a-t-il un pilote chez SHAFT ? » (partie 4)
15 février, 2015 dans Articles, Conférences, Site
Jonetsu est une jeune convention créée par l’association Nijikai axée sur la pédagogie et l’apprentissage des rouages des animes et des mangas. Le point central de la convention est la tenue de conférences par des professionnels et des amateurs, dans le but d’apprendre et d’informer le public sur l’envers peu connu du décor.
Cette page est la quatrième partie d’une retranscription (avec quelques précisions rajoutées) de la conférence présentée le samedi 28 mars 2015 à la convention Jonetsu.
Le système SHAFT
Dans le but de former efficacement les employés du studio, Akiyuki SHINBŌ, Shin ŌNUMA et Tatsuya OISHI ont travaillé ensemble pour mettre au point un schéma de mise en scène immédiatement reconnaissable. Ce qui amène à la grande question de cette partie : « qui fait quoi chez SHAFT ? ».
Dans la croyance populaire, SHINBŌ est principalement le seul maître à bord, et les esthétiques de toutes les œuvres pour lesquelles il est crédité réalisateur sont le résultat de sa vision unique. C’est faux.
On a brièvement évoqué le rôle de SHINBŌ en tant qu’éducateur et formateur dans les précédentes parties.
Pour mettre les choses au clair : son rôle, dans la chaîne de production chez SHAFT, est dans un premier temps de construire avec ses subordonnés le squelette qui va servir de base à la série, pendant la phase de pré-production. Une fois la production lancée, son “job” consiste en l’encadrement de la mise en scène et la retouche de storyboards. À part quelques exceptions, il ne réalise pas réellement les séries pour lesquelles il est crédité réalisateur.
Mais, quand bien même il passe par des intermédiaires, chose assez courante dans l’industrie, il ne faut pas pour autant croire qu’il se tourne les pouces. Akiyuki SHINBŌ fait partie de ces réalisateurs touche-à-tout, présent dans pratiquement toutes les strates de la production. Contrairement à un certain Kunihiko IKUHARA – dont les inspirations sont les mêmes que SHINBŌ, à savoir la philosophie d’Osamu DEZAKI et, d’une certaine façon, la tradition du studio Tezuka Productions de produire un effet maximal à base d’animation limitée –, SHINBŌ est un touche-à-tout mais ne donne pas spécialement d’ordres. Il encadre le travail des autres staffs et les conseille afin qu’ils aillent au bout de leurs idées sans pour autant imposer sa vision.
Il est par ailleurs important de mentionner qu’il est très ouvert à cette réalité. Il a souligné à de maintes reprises l’importance indispensable de ses équipes dans les qualités de direction qu’on lui prête.
Du coup, il faut voir du côté des assistants de SHINBŌ, autrefois crédités en assistant-réalisateur et maintenant en réalisateur à part entière, pour trouver les responsables de l’identité visuelle d’un titre en particulier. Et si SHINBŌ a bel et bien un impact non négligeable sur les projets auxquels il prend part, le résultat final est surtout le fruit de la collaboration de diverses influences.
Les cas les plus évidents sont ceux impliquant Shin ŌNUMA et Tatsuya OISHI, les deux autres personnes ayant construit les bases du style SHAFT.
Ainsi, la patte visuelle et la mise de scène de Shin ŌNUMA sont assez évidentes à la vision de Pani Poni Dash! ou de Natsu no Arashi!. On y retrouve ses traits particuliers tels que la forte présence de couleurs pastelles (cf. second générique d’ouverture de Sayonara Zetsubō Sensei), la caméra située au-dessus de la tête des personnages, les sources de lumières polygonales et l’utilisation de décors amovibles.
L’extrait ci-dessous de Natsu no Arashi! illustre parfaitement l’utilisation de décors amovibles, tandis que l’image illustre plus nettement la caméra vue de dessus et les sources de lumières polygonales propres à ŌNUMA.
Chez Tatsuya OISHI, qui rappelons-le a réalisé Bakemonogatari et Hidamari Sketch x365, les particularités de son esthétisme sont encore plus évidentes. Passionné de photographie, son style va de l’utilisation de prises de vues réelles, donc de photos voire d’extraits vidéo, à une direction artistique privilégiant des couleurs plus ternes et des répétitions d’éléments visuels. La présence de cartons informatifs, de nombreuses polices d’écritures différentes, de la colorisation par point Benday (donnant l’illusion de différentes couleurs) et les impressions d’infinité via la répétition d’éléments font également partie de son style.
L’extrait ci-dessous de Hidamari Sketch x365 illustre l’utilisation de photos et de cartons informatifs comme élément de [découpage de] mise en scène, tandis que l’image illustre la colorisation par point Benday – oui, ce sont les points de différentes couleurs.
Quant au style d’Akiyuki SHINBŌ à proprement parler, si l’on pouvait encore le percevoir dans les premières productions qu’il a dirigé pour le compte de SHAFT, telles que Tsukuyomi -Moon Phase- et Pani Poni Dash!, il a bien vite disparu pour pouvoir laisser les assistants développer leurs propres identités graphiques.
Il se caractérisait par une utilisation très poussée du clair-obscur, des plans à la composition recherchée à l’extrême (que l’on retrouvera d’ailleurs longtemps chez SHAFT dans une version édulcorée), des couleurs uniques pour une scène ou encore l’utilisation d’aplats de couleurs flashy voire épileptiques.
Ci-dessous des images de la série d’OAVs Tenamonya Voyagers et de Yu Yu Hakusho illustrant son identité graphique.




Comme dans tout système, il y a malgré tout quelques exceptions.
Dans un premier temps, Shin ŌNUMA parviendra à s’émanciper de la direction de SHINBŌ au cours des productions d’ef – tale of memories et de melodies en 2007 et 2008. Il en sera le seul réalisateur et SHINBŌ restera cantonné au rôle officiel de superviseur, même s’il aidera ŌNUMA à storyboarder le deuxième épisode de la seconde saison. Cet événement permettra à ŌNUMA d’établir son propre style de mise en scène, différent de ses co-réalisations avec SHINBŌ. Les scènes de ef reposent souvent sur ses gimmicks, contrairement aux autres séries. Cette indépendance peut également être interprétée comme les prémisses de l’évolution d’ŌNUMA chez SHAFT, qui mèneront à son départ du studio fin 2009.
Enfin, c’est surtout la collaboration de Ryutarō NAKAMURA qui va se poser comme la réelle exception dans cette organisation. Le réalisateur de Serial Experiments Lain y signera en effet deux productions en 2006 et 2007 : la mini-série Rec et le second moyen-métrage The Beautiful World adapté de L’Odyssée de Kino, toutes empruntes de son style, sans qu’aucune autre influence n’y soit détectable.
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