Fire Force et la fuite des talents

30 juin, 2019 dans Articles, Japon

L’actualité de SHAFT (et par conséquent de ce site) se fait rare depuis quelques temps, non seulement parce qu’il n’y a aucune série en cours de diffusion, mais surtout à cause de la malheureuse gestion des ressources humaines au sein du studio depuis près d’une décennie. 
Retour sur cette situation interne où de plus en plus de membres talentueux et d’employés historiques quittent le navire, au point qu’on puisse se demander s’il reste encore assez pour faire un équipage.


Le débit et la qualité de production ont diminué chez SHAFT. Il n’est de surprise pour personne de remarquer que ces deux dernières années ont été assez compliqués pour le studio.
Une bonne partie de ses œuvres sont soit de très courtes durées, soit réalisés par des staffs-clé externes au studio, soit souffrant de problèmes de délais et de productions, voire les trois à la fois :

2019 :

2018 :

Ce débit assez bas et ces soucis chroniques de production s’expliquent par d’énormes problèmes que le studio ne parvient pas à résoudre depuis près d’une décennie, dont un majeur : la difficulté à palier le départ des membres expérimentés.

L’industrie contemporaine de la japanimation repose en majeure partie sur la sous-traitance et le travail d’indépendants (les freelances) ; que ce soit pour l’animation, la mise en scène, la colorisation, la production de musique, l’enregistrement sonore etc.
Néanmoins, quand bien même les studios d’animation sous-traitent une bonne partie des tâches (notez qu’une majorité de cette sous-traitance se fait localement, soit à l’intérieur du Japon et par des Japonais), il y a tout de même des employés travaillant quasi-exclusivement pour le studio et les œuvres dont il a la charge. C’est une chose assez peu courante dans ce type d’industrie, cela concerne généralement les animateurs talentueux, les réalisateurs, les producteurs et la partie administrative de la production ; soit des personnes compétentes et/ou expérimentées et/ou ayant un bon réseau de contact que les studios veulent garder et ne pas laisser aux studios concurrents.

Maintenant que cette généralité a été introduite, vous comprendrez que des départs d’un studio d’animation est un événement plutôt peu fréquent, surtout lorsque les départs touchent des gens ayant été employés pendant des années.

L’annonce du staff principal de l’adaptation animée de Fire Force au sein de david production (JoJo’s Bizarre Adventure, Planetarian, Les Brigades immunitaires) confirme ce que beaucoup craignaient à juste titre : la continuation des départs en masse de membres-clés et historiques de SHAFT et leurs participations décisives aux productions d’autres studios.
En effet, l’équipe de production de Fire Force ci-dessous rappelle plus que fortement une équipe-type de SHAFT :

  • Réalisateur : Yuki YASE.

  • Character-designers : Hideyuki MORIOKA, Yoshio KOSAKAI.

  • Directeurs en chef de l’animation : Hideyuki MORIOKA, Yoshio KOSAKAI.

  • Animateur-clé : Kazuhiro MIWA.

  • Animateurs principaux : Hiroyuki ŌKAJI, Riki MATSUURA.

Yuki YASE s’est illustré chez SHAFT en tant que réalisateur de Mekaku City Actors (2014) et de Kubikiri Cycle: Aoiro Savant to Zaregototsukai (2016-2017), deux séries aux productions pour le moins « tumultueuses ». Bien qu’il a été formé et travaillé préalablement pour d’autres studios, il a bien acquis les caractéristiques de SHAFT après son arrivée en tant que storyboardeur et réalisateur d’épisode sur la toute fin des années 2000 sur pratiquement toutes les productions qui suivent cette période.

Hideyuki MORIOKA est un animateur et character-designer historique de SHAFT depuis une quinzaine d’années. Présent depuis la renaissance du studio au début des années 2000, ce taulier s’est illustré dans le chara-designs de Sayonara Zetsubō Sensei, Maria†Holic et Kizumonogatari.

Yoshio KOSAKAI est un animateur-clé prolifique s’étant illustré notamment durant les Monogatari Series, au point qu’il était devenu un des animateurs principaux et réguliers de cette franchise connue pour être difficile en tant qu’animateur.

Kazuhiro MIWA n’est pas du tout un membre de SHAFT, mais est un animateur freelance dont la participation à Fire Force n’est pas sans rappeler son précédent travail avec SHAFT (Fate/EXTRA Last Encore) en tant que spécialiste des scènes d’action.

Enfin, Hiroyuki ŌKAJI et Riki MATSUURA sont également des animateurs-clé réguliers de SHAFT, s’étant fidèlement illustrés sur diverses séries durant plusieurs années.

Le départ de ces membres historiques n’est pas qu’un ponctuel coup dur pour SHAFT, qui se voit à nouveau amputé de personnel expérimenté. Ils font suite aux nombreux départs d’autres animateurs et réalisateurs historiques que le studio expérience de plus en plus régulièrement depuis près d’une décennie.

Fire Force est le dernier exemple en date (à l’écriture de cet article) d’une tendance que nous voyons depuis des années, tendance qui n’a fait que continuer et se confirmer à mesure que le temps passe. Quand bien même cet événement n’est finalement pas si surprenant pour nous, site spécialisé, nous profitons justement de cet exemple pour faire un point sur la situation.

L’histoire post-renaissance de SHAFT est ponctuée de départs d’un nombre conséquent personnel expérimentés et d’arrivée de membres au « sang frais » pouvant apporter de la nouveauté au studio. Mais cette mécanique s’est enrayée depuis que les conditions de travail ont gravement empiré à partir de l’arrivée de l’éditeur Aniplex.

Il est un secret de polichinelle que les conditions de travail ont toujours été loin d’être idylliques, même à l’époque de leurs habituelles collaborations avec l’éditeur KADOKAWA avant la fin des années 2000. Le studio avait malheureusement pour habitude de ne pas parvenir à respecter ses plannings, et de diffuser des versions « non définitives » de ses épisodes à la TV y compris pour les génériques tellement les retards s’accumulaient. Ces soucis étaient connus, mais n’empêchaient pas l’arrivée de nouveaux staffs au sein de l’entreprise : bien que plus importants et plus visibles, ces problèmes étaient et restent malheureusement récurrents dans toute l’industrie.
Mais l’arrivée d’Aniplex dégrada encore plus la situation. Courant 2010-2011, l’éditeur entre dans le capital du studio et devient l’éditeur en relation privilégiée avec SHAFT. Les productions suivantes (hors déjà commencées en coulisses) seront quasi-exclusivement produit par cette maison de production et un nouveau départ de masse s’opère : c’est la deuxième grande restructuration du studio. De nouvelles têtes entrent au fur et à mesure chez SHAFT, les anciens qui sont restés montent en grade et travaillent encore plus pour palier à ces absences en attendant que les nouveaux reforment les rangs.

Cependant, un cap a été franchit. Là où la première (voir en dessous) et deuxième restructuration forment des départs en groupe, et où le studio s’est s’adapté tant bien que mal avec les membres restants et les nouveaux arrivants, les départs de membres survenant par la suite ne sont plus ponctuels. Les départs deviennent constants, touchant aussi bien les relativement jeunes que les vétérans avec 15 ans d’ancienneté, qu’ils soient animateurs ou metteurs en scène. La grande majorité de ceux qui ont fait leurs armes à SHAFT et ont contribué à la gloire du studio ont quitté le navire et cela à un rythme de plus en rapide, au point que les nouveaux arrivants ne peuvent palier au déficit d’expérience et de process.
Afin de dresser cette tendance, il est crucial de situer le degré d’importance des personnes ayant quitté le studio et le rythme de leurs départs.

Tout d’abord, rappelons que ce genre de départ n’est pas nouveau chez SHAFT, ou dans n’importe quel autre studio d’animation. Souvenons-nous de la première restructuration avec le départ remarqué de Shin ŌNUMA, pilier du (vieux) style SHAFT et réalisateur des animes ef – a tale of, Pani Poni Dash! ou les OAV Shin Negima?!. Parti en bons termes pour rejoindre SILVER LINK. en 2009 avec quelques animateurs et storyboardeurs de SHAFT (certains sont par ailleurs revenus chez SHAFT après leur virée chez SILVER LINK), il y réalisa Baka to Test to Shōkanjū et y prit petit à petit un rôle semblable à celui qu’à SHINBŌ chez SHAFT : superviseur/producteur de presque toutes les séries.

Trois ans plus tard, ce fut au tour de Mamoru HATAKEYAMA, connu chez SHAFT sous le pseudonyme de Shinichi OMATA, de partir à son tour. Formé par SHINBŌ, il avait fait des storyboards pour Arakawa Under the Bridge, Hidamari Sketch x Hoshimitsu, ou encore Puella Magi Madoka★Magica. Il rejoignit ensuite le studio DEEN, où il réalisa entre autres Sankarea et Le rakugo ou la vie (Shōwa Genroku Rakugo Shinjū). Plus récemment, nous avons pu le voir à la réalisation de Kaguya-sama: Love is war chez A-1 Pictures. On peut retrouver dans sa réalisation des éléments rappelant son studio d’origine, ré-adapté pour correspondre à son style.

À peu près en même temps (courant 2012), Ken’ichi ISHIKURA quitta à son tour le studio. Ce réalisateur un peu plus discret avait réalisé Hidamari Sketch x Hoshimitsu, et co-réalisé Maria†Holic Alive ainsi que le film Negima Anime Final. Une fois parti du studio, il réalisa Da Capo III chez Kazami Gakuen Kōshiki Dōga-bu, studio créé spécialement pour l’occasion et dont le nom est une référence à Da Capo. Quelques années plus tard, il apparut à la réalisation de Sakura Trick, chez DEEN, et il est depuis régulièrement crédité à la réalisation d’épisode ou au storyboard de certaines séries. Dans les séries qu’il a réalisé, son style reste très proche de ce qu’il a pu apprendre à SHAFT, et en particulier de celui de Shin ŌNUMA.

En 2015, Naoyuki TATSUWA quitta le studio à son tour. Animateur-réalisateur de 10 ans d’ancienneté, recruté par la team SHINBŌ à son arrivée, il avait travaillé sur de nombreux animes du studio tels que la série des Sayonara Zetsubō Sensei, Soredemo Machi wa Mawatteiru, et a réalisé Nisekoi et Kōfuku Graffiti. Après son départ « précipité » (il devait réaliser la 2e saison de Nisekoi, puis Yukihiro MIYAMOTO repris le flambeau à la dernière minute), il devint freelance, travaillant en tant qu’animateur-clé notamment sur your name et sur Dōkyūsei, et reprenant la réalisation en 2018 avec -Dakaichi- My Number 1.

Cependant, ces dernières années, le rythme des départs s’est s’accéléré. De plus en plus de membres prometteurs ou historiquement importants décident d’aller voir ailleurs. En 2018, nous pouvions retrouver Ryō IMAMURA à la direction de l’animation du générique d’ouverture de la 3e saison de Yama no Susume, confirmant son départ supposé du studio. Notons toutefois que ce départ peut-être remonté jusqu’en 2016, année où il réalisa des animations-clé pour le générique d’ouverture d’Uta no Prince-sama Maji Love Legend Star, et où il débuta son compte Twitter (avoir un compte Twitter n’est pas forcément chose bien vu chez SHAFT). Il s’était fait connaître en tant qu’animateur chez SHAFT notamment pour son travail sur Hidamari Sketch x 365 (https://www.sakugabooru.com/post/show/4751) ou Bakemonogatari (https://www.sakugabooru.com/post/show/6030).

Au côté d’IMAMURA sur la troisième saison de Yama no Susume, se trouve également Taiki KONNO. Il est rentré chez SHAFT en tant qu’intervalliste juste après avoir fini ses études d’art à l’Université d’Art et de Design de Seian, en 2012. Il gagna assez vite la confiance notamment de Yuki YASE, et se verra confier les rennes du second épisode d’Onimonogatari, où il réalisa les estampes illustrant tout l’épisode. Son travail sur cet épisode le fit de suite remarquer auprès du grand public. Par la suite, il réalisa les illustrations des journaux dans Mekaku City Actors, et fit de l’animation-clé notamment sur Kizumonogatari et March comes in like a lion. Il est difficile de dire quand il a quitté le studio exactement, mais on le retrouve en 2018 sur la troisième saison de Yama no Susume, ainsi que le film Penguin Highway. Il collabora toutefois encore avec SHAFT en faisant de l’animation-clé sur le générique d’ouverture de CRYSTAR. Il n’est pas apparu dans un anime depuis.

Courant 2018, le réalisateur Tomoyuki ITAMURA quitte lui aussi le studio. Il avait repris la réalisation de presque tous les Monogatari Series après Bakemonogatari, pendant que Tatsuya OISHI était occupé avec Kizumonogatari (prévu pour être un seul film à l’époque). Il fut crédité en tant que réalisateur pour toutes les séries entre Nisemonogatari et Owarimonogatari the 2nd. Cependant, il est apparu l’année dernière à la réalisation de Je veux manger ton pancréas, au studio VOLN. Son absence remarquée à la réalisation de Zoku Owarimonogatari semble confirmer son départ. Des rumeurs circulent quant aux raisons de son départ, et semblent toutes pointer vers d’importants dysfonctionnements au sein du studio. Quand bien même nous ne pouvons rien confirmer pour le moment, la présence de tels dysfonctionnements ne seraient pas étonnants, au vue du déroulement des productions ces dernières années.

Plus récemment, Nobuyuki TAKEUCHI semble avoir décidé de quitter le navire. C’était un des plus anciens membres du studio, arrivé avant la « team SHINBŌ » dans les locaux. Même si son influence sur le style du studio est moins marquée que celle des trois membres de la fameuse team, il a été une des forces motrices de cette dernière, et a eu un impact indéniable sur son esthétique. Ceci l’amènera à être à la production des designs de nombreuses séries. Homme de l’ombre et pilier du studio inconnu du grand public, il a aussi participé à la quasi-totalité des œuvres du studio, que ce soit à l’animation ou à la production de design. Bourreau de travail, il occupait souvent de multiples postes dans les séries sur lesquels il travaillait. Il fit ses débuts en tant que réalisateur à part entière sur le film Fireworks, should we see it from the side or the bottom?, dont la production se verra systématiquement relégué au second plan pendant plusieurs années dû aux problèmes chroniques du studio à adjoindre les ressources suffisantes aux productions qu’elle entreprend. Il rejoignit la réalisation de Sarazanmai après son départ de SHAFT. Grand ami du réalisateur Kunihiko IKUHARA (Utena, Mawaru Penguindrum), il participe généralement à ses productions y compris à l’époque de SHAFT, mais son investissement sur Sarazanmai bien plus important que sur les animes précédents corrobore son départ du studio. Dans le même mouvement, il ouvrit un compte Twitter, ce qui vient renforcer cette hypothèse.

Toujours début 2019, Hiroki YAMAMURA est crédité en tant que directeur de l’animation sur une série extérieure à SHAFT : Go-tōbun no Hanayome. Cependant, ce genre de collaboration n’est pas chose rare dans l’industrie : il est courant qu’un animateur engagé par un studio, si son contrat le lui permet, aille travailler sur un autre projet si un ami lui demande, ou si le projet l’intéresse particulièrement. À SHAFT, par exemple, Ryō IMAMURA a participé à l’animation de Tenkai Knight et de Captain Earth chez Bones avant de revenir au studio, et Nobuyuki TAKEUCHI avait même réalisé un épisode sur Penguindrum chez Brain’s Base pour IKUHARA et avait régulièrement prêté main-forte sur plusieurs films du studio Ghibli. Cependant, YAMAMURA participant à une production hors SHAFT pour la première fois en plus de dix ans, et à un poste aussi important que la direction de l’animation, peut être pris comme un signe (comme avoir un compte Twitter actif).

Notons également que des retours de metteurs en scène, même temporaires, ont déjà eu lieu par le passé : lorsque Shin ŌNUMA a quitté SHAFT en 2009 pour SILVER LINK., d’autres animateurs et metteurs en scène l’ont suivi dans cette aventure puis sont revenus chez SHAFT quelques mois/années plus tard. ŌNUMA lui-même est brièvement revenu pour quelques réalisations : l’épisode 9 de Bakemonogatari et son 4e générique d’ouverture (Renai Circulation, arc Nadeko Snake) ; puis 4 ans plus tard, le générique d’ouverture d’Otorimonogatari (Mōsō♡Express, arc Nadeko Medusa), générique qui est par ailleurs une réponse à Renai Circulation.

La présence de nombreux ex-membres de SHAFT sur la production de Fire Force ne vient pas contredire cette tendance, elle la confirme d’autant plus.

Nous n’avons évoqué ici uniquement les départs dont nous sommes convaincus de la réalité, que ce soit par la forte implication des personnes dans d’autres studios ou par ce qu’ils ont pu dire sur leurs comptes Twitter. Ces derniers ayant occupé un poste-clé chez SHAFT ou ayant été remarqué pour leur talent, il est fort possible que d’autres ont également emboîté le pas. Nous avons forcément manqué d’autres membres du studio, n’ayant pas de compte Twitter ou étant plus méconnus que ceux que nous avons listés. Et ceci sans compter les membres d’autres départements plus discrets, tels que la colorisation ou la partie administrative de la production (assistant de production, production desk, etc)
Il est difficile d’estimer exactement le nombre de personne qui a quitté le studio au cours de la dernière décennie, mais il est indubitable que les personnes citées dans cet article ne sont pas parties seules.

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