Interview de Yukio TAKATSU, réalisateur de génériques
4 avril, 2018 dans Articles, France, Interviews
Freelance spécialisé dans les génériques d’animes, Yukio TAKATSU est le responsable des génériques les remarquables des Monogatari Series (Nisemonogatari, Monogatari Seconde Saison, Tsukimonogatari et Owarimonogatari) et de March comes in like a lion 2nd Season.
En préparation de la convention Jonetsu 3.33 qui se déroulera à Bourg-la-Reine le 7 et 8 avril 2018, nous avons eu la chance de pouvoir l’interviewer sur son parcours professionnel et expériences des génériques d’animes pour SHAFT. Nous vous invitons à découvrir davantage l’animateur-réalisateur en amont d’une des conférences maîtresses qu’il présentera dans cette convention axée sur les coulisses de l’animation et du manga : La création de génériques d’animes.
– Qu’est-ce qui vous a inspiré à devenir animateur ? Quel a été le déclic ?
M. Yukio TAKATSU : Cela a commencé avec la première trilogie de films Mobile Suit Gundam. J’avais probablement entre dix et onze ans à l’époque, les films ont déclenché mon intérêt dans ce domaine. Mais en tant qu’animateur, c’est plutôt à partir du lycée que cela s’est précisé. Je regardais pas mal d’animes et je tournais même futur otaku. C’est alors à cette période que j’ai vraiment envisagé cette voie, où je me suis dit que je voulais moi aussi animer.
– Et pour atteindre ce but, quel a été votre parcours ?
TAKATSU : Je suis entré à la Yoyogi Animation Academy. Il faut se rappeler qu’à l’époque, il n’y avait évidemment pas internet et donc on n’avait pas d’endroit qui regroupait les numéros de téléphone des studios d’animation et leurs annonces de recrutement. Alors si on voulait travailler dans l’animation, il fallait passer obligatoirement par une école d’animation. Et comme la Yoyogi Animation Academy était quasiment la seule dans ce domaine, il fallait forcément passer par elle.
– Je vois. Du coup je comprends pourquoi une partie des animateurs et réalisateurs chez SHAFT sont passés par cette école.
TAKATSU : Contrairement à aujourd’hui, on n’avait vraiment pas le choix.
– On voit que vous avez travaillé sur des productions extrêmement variées à cette époque : pour quels studios avez-vous travaillé à vos débuts ?
TAKATSU : Au début, c’était un tout petit studio qui s’appelait Miyuki Production (みゆきプロダクション). C’était un studio pas très connu, mais dont le nom était assez récurrent dans les crédits des séries des années 80.
– Vous étiez intervalliste dans ce studio de sous-traitance ?
TAKATSU : C’était mon premier studio, à ceci près qu’il n’y avait pas vraiment de poste nommé. Bien sûr, je n’étais pas l’homme à tout faire, mais comme j’apprenais, je faisais finalement beaucoup de choses dans des domaines variés.
– C’est à partir de quand que vous êtes devenu « animateur établi » ?
TAKATSU : Je suis passé « professionnel » à 20 ans, j’étais encore à Miyuki Production. Mais ce n’étaient pas des conditions comparables à aujourd’hui : du moment qu’on venait et qu’on était motivé, ils disaient « bon eh bien, tu commences demain matin et on verra ce qu’il y a » sans qu’il n’y ait de contrats à remplir ou de clauses de confidentialité à signer.
Le premier travail que j’ai effectué pendant mon tout premier jour d’animateur « professionnel », c’est un plan d’animation qui est passé à la télévision 4 jours après.
– Comment avez-vous été choisi pour réaliser votre premier générique ? Avez-vous été poussé par vos collègues ou vous êtes-vous proposé à la tâche ?
TAKATSU : Un de mes collègues de l’époque était parti du studio pour fonder sa propre société. C’est ainsi qu’il m’a proposé d’en faire un pour sa nouvelle boîte et que j’ai produit mon premier générique. C’est par lui que ça a commencé.
– Quand on regarde vos génériques, on remarque un certain pattern, un style visuel qui s’en dégage : une omniprésence des figures et effets « géométriques » tels que des effets miroir, des split-screens, des animations/rotations constantes d’éléments, une habitude à jouer avec les crédits (ex : kanji de l’œil à la place de l’œil de Karen dans Nisemonogatari OP2, mouvements perpétuels des textes). Qu’est-ce qui vous a poussé à développer ce style ?
TAKATSU : J’ai simplement dessiné ce qui me plaisait, sans que ce soit une recherche consciente d’un style personnel ou d’un désir de me démarquer. La seule question que je m’étais posée était de savoir ce qui pouvait surprendre le spectateur, et ainsi l’intéresser. Puis à force, cela a donné un style reconnaissable dans les génériques.
– Avant d’œuvrer dans les génériques de séries TV, vous avez travaillé sur des génériques dans le domaine vidéoludique (Atelier, Persona). Votre « style » a-t-il commencé à germer à cette époque ?
TAKATSU : Quand je travaillais dans le jeu vidéo, je faisais en réalité de l’animation 2D traditionnelle. Donc au final, c’était plus ou moins la même chose où j’essayais de dessiner ce qui me plaisait pour les génériques.
– Y a-t-il des différences fondamentales entre produire de l’animation/un générique pour la TV et le jeu vidéo ?
TAKATSU : Dans le jeu vidéo, il y a souvent déjà une sorte de préproduction où les gens définissent et savent ce qu’il veulent.
– Quelles sont les étapes-clés pour produire un générique ? Quels matériels ou indications recevez-vous en premier ?
TAKATSU : Quand j’ai accepté de produire un générique, je demande la musique qui est prévue et la « bible graphique » de la série (character design, etc). Je passe mon temps à écouter la musique, à prendre des notes et à voir ce qu’elle m’inspire.
– Vous recevez aussi les paroles ?
TAKATSU : Oui, mais ce n’est pas un élément aussi fondamental pour créer un générique. Pour moi, la musique est l’élément le plus important. Je dois avoir l’impression générale, l’atmosphère qui se dégage de la musique, et puis les paroles peuvent être trompeuses.
– Au stade où vous recevez une commande de générique, est-ce qu’on vous donne de la musique « temporaire » ?
TAKATSU : Cela dépend des projets. Dans certains projets, la musique est déjà confirmée et prête telle quelle ; dans d’autres, la musique est temporaire dans les instruments et le rythme. Des changements sont encore possibles. Je demande bien sûr à ce que la musique reçue ne soit pas (fondamentalement) différente de la musique finale, mais il y a toujours un risque.
– Vous disposez d’en moyenne combien de temps pour en produire un ?
TAKATSU : Depuis le moment où j’ai reçu toutes les ressources musicales, je prends en moyenne un mois et demi pour un générique.
– Comment en êtes-vous venu à travailler avec le studio SHAFT ? Avez-vous été amené à travailler avec eux, ou est-ce vous qui leur avez proposé vos services ?
TAKATSU : Hum… je ne sais plus trop comment s’appelle… le patron de SHAFT…
– M. Mitsutoshi KUBOTA ?
TAKATSU : Oui, M. KUBOTA. Mitsutoshi KUBOTA ou Akiyuki SHINBŌ a vu ce que j’avais fait, puis on m’a contacté et proposé de travailler pour SHAFT.
– La première fois que vous avez travaillé avec eux, avez-vous reçu des instructions de leur part ?
TAKATSU : Je ne me souviens pas avoir reçu d’instruction spécifique.
– Quelle relation entretenez-vous avec SHAFT et son staff ?
TAKATSU : Pour la saga des Monogatari Series et ses nombreux génériques, le studio était bien content que je sois dans les parages (rires). Comme il fallait plein de génériques, la production m’a simplement demandé si j’étais disponible et c’était le cas.
Concernant plus spécifiquement les membres, je les rencontrais aux réunions de travail après avoir accepté une commande. J’ai remarqué qu’Akiyuki SHINBŌ n’était pas le genre de personne qui multiplie les réunions pour décider exactement de ce qui va se passer et donner des ordres pour chaque élément. Il laisse une grande liberté à ses collaborateurs et leur fait confiance. Il essaie au mieux de ne pas influencer dans le processus créatif.
– SHINBŌ est donc plutôt le genre de réalisateur qui cherche à cultiver les différences que ses collaborateurs peuvent lui apporter ?
TAKATSU : Pour ce qui est des génériques, en tout cas. Je trouve cela agréable qu’il laisse carte blanche à des réalisateurs. C’est bien plus pénible d’être tenu par la main pendant qu’on travaille sur un générique.
– Outre avoir collaboré avec SHAFT, vous avez également réalisé un générique de Naruto Shippuden pour le studio Pierrot en 2015. Y a-t-il eu des différences de méthodes de travail entre ces studios produisant régulièrement des séries TV ?
TAKATSU : Pour Naruto, il n’y a pas eu de réunion de préproduction ou de réunion de travail. La production m’a simplement dit que ça parlera de tel à tel tome, et qu’il faudra que je prenne connaissance du contenu. Mais déjà à cette époque, Naruto faisait dans les soixante-dix tomes alors c’était plutôt épuisant de se mettre à la page.
[NdR : le générique en question a été diffusé du 2 avril 2015 au 24 septembre 2015, soit de l’épisode 406 à l’épisode 431. Ils adaptent plus ou moins les tomes 69 et 70 du manga.]
– Vous avez travaillé plusieurs fois pour SHAFT et une fois pour Pierrot, est-ce que vous avez reçu d’autres propositions de réalisation ?
TAKATSU : Oui. Par ailleurs, il m’arrive assez fréquemment de refuser, principalement pour manque de temps. En plus de réaliser [des génériques], il m’arrive de travailler en tant qu’animateur-clé, donc je suis assez occupé.
– Pour faire les génériques des Monogatari Series, avez-vous lu les romans ?
TAKATSU : Je n’ai pas lu les romans, je n’avais pas le temps. Alors j’ai demandé s’il était possible d’avoir une version audio des livres sur CD ou dictaphone, et ainsi pouvoir travailler en l’écoutant. Un employé du studio s’est donc enregistré en lisant le roman, puis au bout d’un moment il a demandé à arrêter l’expérience : ça devenait un peu « compliqué » de lire à voix haute les scènes « particulières » de Nisemonogatari… notamment celle de la brosse à dents (rires).
Finalement, je ne connais qu’une partie de la série, celle où l’employé avait pu lire avant de tourner court à l’expérience.
– L’opening de Koimonogatari est assez populaire en Occident, avec le travail sur l’opposition entre animation analogique et numérique, ainsi que le travail conséquent pour émuler l’animation sur cellulo (la colorisation typique d’avant l’ère numérique, les « effets à la Kanada » sur la voiture au début, la police d’écriture propre aux anciennes séries, etc). Pouvez-vous nous parler de ce générique ?
TAKATSU : Comme le générique est un duo et qu’il y a l’idée de la dualité, ça m’a rappelé le genre de générique que l’on avait autrefois. En écoutant la musique, je me suis alors dit que j’allais faire un générique dans ce style. Et comme je connais bien l’animateur Osamu KAMIJŌ qui faisait des œuvres typiquement dans ce style d’avant, je me suis dit que ça pourrait être intéressant.
[NdR : Osamu KAMIJŌ est le responsable de l’animation et du character design old-school du générique.]
– Quelle a été la réaction de SHAFT sur ce générique ?
TAKATSU : La première fois qu’ils ont vu le storyboard, ils se sont dit « c’est quoi ce bordel ? » (rires).
– Dans ce générique, on a des passages alternants un style « ancien » à un style « nouveau ». Est-ce que les plans ont été dessinés deux fois, chacun dans un style différent, ou est-ce pendant la postproduction que les dessins ont été arrangés pour que ça colle à l’ancien style ?
TAKATSU : Pour ces scènes spécifiques où il y a un balayage entre l’ancien et le nouveau style, les plans ont effectivement été dessinés deux fois.
– En plus d’être votre premier ending et d’être produit en solo, votre travail sur March comes in like a lion est extrêmement atypique dans votre filmographie. On n’y retrouve pas les éléments qui caractérisent votre style. Y a-t-il une raison à cela ?
TAKATSU : Je n’ai pas spécialement voulu faire quelque chose de différent ou d’essayer de me démarquer, je me suis plutôt laissé inspirer par la série en elle-même.
– Vous connaissiez la série avant de travailler dessus ?
TAKATSU : Seulement de nom. Puis quand j’ai eu la commande, j’ai effectivement lu le manga.
– Paraît-il que vous avez fait l’ending sur votre iPad : est-ce vrai ? Pourquoi cet outil plutôt qu’un autre ?
TAKATSU : Oui. De nos jours, tout se numérise, donc il fallait bien passer à une tablette à un moment ou un autre. Mais l’iPad a un feeling qui m’a paru particulièrement plaisant.
– Depuis votre arrivée à Paris, vous avez travaillé en télétravail pour SHAFT sur l’ending de March comes in like a lion. De quelle logistique disposez-vous ?
TAKATSU : Je possède un Mac, un PC sous Windows et une tablette Wacom spécifique pour le travail, mais c’est la première fois que j’ai travaillé uniquement avec l’iPad. J’ai commencé à faire le storyboard sur iPad, puis comme j’avais un bon feeling avec, j’ai simplement continué sur cette tablette jusqu’à finalement tout faire avec.
– Le fait que vous vous êtes « expatrié » n’a-t-il pas compliqué la recherche de contrats avec les studios japonais (y compris avec SHAFT) ?
TAKATSU : Non, cela n’a pas été un obstacle spécifique à ce niveau. Je continue de recevoir des demandes et de travailler. D’un autre côté, j’aimerais travailler avec les studios français, mais la barrière de la langue est encore très forte.
– Vous avez réalisé beaucoup de génériques d’animes, très appréciés du public, et dégagent tous une identité très remarquable. Avez-vous déjà envisagé de faire des clips (musicaux) ?
TAKATSU : C’est une idée qui me trotte dans la tête depuis un moment.
– Enfin, comment envisagez-vous votre avenir en France ?
TAKATSU : Pour l’instant, j’observe. Je suis allé dans quelques sociétés, voir ce que je pourrais faire. À terme, je voudrais participer à un projet avec un studio français.
Remerciements particuliers aux organisateurs de la convention Jonetsu et à l’interprète Pierre Bancov, sans qui cette interview n’aurait pu se faire. Venez nombreux assister à la conférence La création de génériques d’animes qui sera présentée par Yukio TAKATSU le dimanche 8 avril 2018 à Bourg-la-Reine.
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